La Californie se rue sur l'or vert. Et la Suisse?

On sait que la Silicon Valley est le berceau de l'informatique. Aujourd'hui, la vallée californienne est en passe de devenir La Mecque des technologies vertes. Tous les cerveaux de la place se ruent sur l'énergie éolienne, le solaire, les nouveaux matériaux. Leur but? Changer le monde et faire fortune. La Suisse a une carte à jouer dans ce secteur qui vaut 900 milliards par an

Bill Gates, Steve Jobs et Larry Page ont un point commun: ils ont fait fortune et changé le monde en bricolant dans leur... garage. Aujourd'hui, dans la Silicon Valley, berceau de l'informatique, des chercheurs et entrepreneurs sont toujours à l'oeuvre dans leur cave, mais ils ne manipulent plus forcément des bits ou des algorithmes. Leur nouveau dada, c'est les algues marines qui produisent des carburants écolos, les cerfs-volants qui font de l'énergie propre, les matériaux qui permettent de réduire l'empreinte carbonique d'une maison, ou les cellules voltaïques. Journaliste économique au Nouvel Observateur, Dominique Nora, à qui on doit notamment «Les conquérants du cybermonde», a passé deux ans à sillonner la Vallée. Elle en revient avec un ouvrage* qui montre comment une région entière a embrassé avec un enthousiasme et un dynamisme exceptionnels une nouvelle industrie, les greentechs, ou technologies vertes. Le prochain Bill Gates est sans doute parmi les croisés de l'environnement dont elle fait le portrait.

Les Américains virent au vert
«Quand je suis arrivée dans la Silicon Valley comme correspondante, j'étais dans l'idée que j'allais couvrir l'actualité des technologies de l'information (IT). Et j'ai vu que la vallée entière s'enflammait pour les technologies vertes - c'est de cela que j'ai finalement parlé.» Dominique Nora avait les mêmes préjugés que tout Européen sur les habitudes de consommation des Américains: grosses maisons, grosses voitures, grosse pollution et parfaite indifférence à l'égard de l'économie d'énergie. Elle avait tout faux. Depuis quelques années, la sensibilité s'est inversée outre-Atlantique, et rien n'est plus branché désormais que l'écologie - même le géant Walmart est devenu un champion de la cause, c'est dire. «Mais attention, ça ne se fait pas du tout sur le même mode catastrophiste et anticapitaliste que chez nous, genre Nicolas Hulot et son film, souligne la journaliste. L'esprit n'est pas à la décroissance, au contraire: pour les Américains, l'écologie ce n'est pas un antimarché, c'est un nouveau marché, et ils espèrent bien en être les leaders.»

D'ailleurs ceux qui ont réussi dans les IT essaient, à l'image de Google, de remettre la compresse avec les énergies renouvelables. Larry Page et Sergei Brin montrent l'exemple en roulant en voiture électrique et en prêchant le vert dans leur entreprise: nourriture bio, capteurs solaires sur les toits, meubles en matériaux recyclés. Mais surtout, ils investissent dans la recherche et le développement de nouveaux produits. Car ils ont un but: produire de l'électricité verte moins chère que celle issue du charbon. Ils misent beaucoup sur la géothermie, et soutiennent donc (entre autres) des start-up actives dans le domaine. Un parfait exemple de cet esprit à la fois très écologiste et très capitaliste: réussir ce pari permettrait en effet à Google de gagner beaucoup d'argent en revendant la technologie, de réaliser de sérieuses économies puisque ses fermes à serveur sont des gouffres à énergie (fonctionnement, refroidissement), et ferait un bien fou à la planète.

Outre des acteurs déjà actifs dans les IT, et quelques nouveaux venus, on trouve aussi sur ce terrain des vieux routiers de la finance, tels Warren Buffett par exemple ou le capital-risqueur Vinod Khosla (lire encadré) - leur présence prouve bien que c'est ici que les plus grosses croissances se feront dans les années à venir.

Mais miser sur ces jeunes pousses n'est pas sans risque. L'informatique, par essence très ancrée dans le virtuel, a permis par exemple à Yahoo de construire un empire à partir d'un investissement quasi nul. Au contraire, les technologies vertes impliquent une production souvent lourde, donc coûte une fortune. Une batterie écolo pour voiture électrique se construit dans des vraies usines avec des vrais murs, pas avec des pixels. Idem avec les éoliennes, le biofuel, la géothermie. Ce qui implique que les faillites seront vertigineuses. Car dans ces nouvelles technologies, il y a beaucoup de start-up appelées, mais peu seront élues: «On estime que 90% vont se casser la figure, 8% survivre, et 1 à 2% casser la baraque. Tout l'enjeu pour les investisseurs est de miser sur la bonne», analyse Dominique Nora.

Même s'il est risqué, le pari n'est pas fou: on estime la taille du marché des Greentechs à 900 milliards rien que pour l'année 2010 - les Américains mangeront 40% du gâteau.

Bonne nouvelle: la Suisse a remarqué qu'il se passait là quelque chose et elle est sur les rangs pour grignoter sa part. Cet été, Doris Leuthard a lancé une marque depuis San Francisco, «swiss greentech», pour marketer le savoir-faire helvétique et aider les PME à monter à l'assaut des USA. C'est sous l'égide de l'OSEC que se déroule l'offensive, notamment de Martin von Walterskirchen, responsable de la promotion économique suisse pour les Amériques au Swiss Business Hub, à Chicago. Joint sur place, il explique que «la Suisse est active dans les technologies vertes depuis les années 70, soit bien plus longtemps que les Américains. Il ne s'agit pas de perdre cette avance». Pour l'heure pourtant, constate-t-il, les PME suisses sont plutôt tournées vers l'Europe, alors qu'il y a bien des avantages à miser sur les USA, leur marché géant et leur appétit pour tout ce qui est écolo. «Mais le Canada est très intéressant aussi: nous venons de signer un accord commercial de libre-échange: les Suisse ont un vrai avantage compétitif en ce moment par rapport aux Européens, puisque leurs produits ne sont pas taxés - ça leur fait une marge de 7% en plus.» Bref, l'homme fait feu de tout bois et n'attend plus qu'une chose: que les PME aille se mettre au vert aux Amériques. Mais il s'accorde avec Dominique Nora sur un constat: dans la Silicon Valley, le dynamisme et la volonté de progresser dans ces champs sont énormes. Et comme ils ont aussi la concentration de matière grise la plus impressionnante qui soit, ils vont faire mal.